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poezie [ ]

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de [Guillaume_APOLLINAIRE ]

2002-09-10  | [Acest text ar trebui citit în francais]    |  Înscris în bibliotecă de Vlad Stroescu



Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi
Je vivais a l'époque ou finissaient les rois
Tour a tour ils mouraient silencieux et tristes
Et trois fois courageux devenaient trismégistes

Que Paris était beau a la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne ou les pampres
Répandaient leur clarté sur la ville et la-haut
Astres murs becquetés par les ivres oiseaux
De ma gloire attendaient la vendange de l'aube

Un soir passant le long des quais déserts et sombres
En rentrant a Auteuil j'entendis une voix
Quui chantait gravement se taisant quelquefois
Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine
La plainte d'autres voix limpides et lointaines

Et j'écoutai longtemps tous ces chants et ces cris
Qu'éveillait dans la nuit la chanson de Paris

J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde

Je vis alors que déja ivre dans la vigne Paris
Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux aui aux treilles chanterent

Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes
Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants
Ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil
Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille
Nous t'apportons tous les cerveaux les cimetieres les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n'entendras pas
Et d'amont en aval nos pensées ô rivieres
Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées
Aux doigts allongés nos mains les clochers
Et nous t'apportons aussi cette souple raison
Que le mystere clôt comme une porte la maison
Ce mystere courtois de la galanterie
Ce mystere fatal fatal d'une autre vie
Double raison qui est au-dela de la beauté
Et que la Grece n'a pas connue ni l'Orient
Double raison de la Bretagne ou lame a lame
L'océan châtre peu a peu l'ancien continent

Et les villes du Nord répondirent gaiement

Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités ou dégoisent et chantent
Les métalliques saints de nos saintes usines
Nos cheminées a ciel ouvert engrossent les nuées
Comme fit autrefois l'Ixion mécanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Ou les ouvriers nus semblables a nos doigts
Fabriquent du réel a tant par heure
Nous te donnons tout cela

Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvieres
Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prieres

Désaltere-toi Paris avec les divines paroles
Que mes levres le Rhône et la Saône murmurent
Toujours le meme culte de sa mort renaissant
Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang
Heureuse pluie ô gouttes tiedes ô douleur
Un enfant regarde les fenetres s'ouvrir
Et des grappes de tetes a d'ivres oiseaux s'offrit

Les villes du Midi répondirent alors

Noble Paris seule raison qui vis encore
Qui fixes notre humeur selon ta destinée
Et toi qui te retires Méditerranée
Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties
Ces tres hautes amours et leur danse orpheline
Deviendront ô Paris le vin pur que tu aimes

Et un râle infini qui venait de Sicile
Signifiait en battement d'ailes ces paroles

Les raisins de nos vignes on les a vendangés
Et ces grappes de morts dont les grains allongés
Ont la saveur du sang de la terre et du sel
Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel
Obscurci de nuées faméliques
Que caresse Ixion le créateur oblique
Et ou naissent sur la mer tous les corbeaux d'Afrique
Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille
L'avenir et la vie dans ces treilles s'ennuyent

Mais ou est le regard lumineux des sirenes
Il trompa les marins qu'aimaient ces oiseaux-la
Il ne tournera plus sur l'écueil de Scylla
Ou chantaient les trois voix suaves et sereines

Le détroit tout a coup avait changé de face
Visages de la chair de l'onde de tout
Ce que l'on peut imaginer
Vous n'etes que des masques sur des faces masquées

Il souriait jeune nageur entre les rives
Et les noyés flottant sur son onde nouvelle
Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives
Elles dirent adieu au gouffre et a l'écueil
A leurs pâles époux couchés sur les terrasses
Puis ayant pris leur vol vers le brulant soleil
Les suivirent dans l'onde ou s'enfoncent les astres

Lorsque la nuit revint couverte d'yeux ouverts
Errer au site ou l'hydre a sifflé cet hiver
Et j'entendis soudain ta voix impérieuse
O Rome
Maudire d'un seul coup mes anciennes pensées
Et le ciel ou l'amour guide les destinées

Les feuillards repoussés sur l'arbre de la croix
Et meme la fleur de lys qui meurt au Vatican
Macerent dans le vin que je t'offre et qui a
La saveur du sang pur de celui qui connaît
Une autre liberté végétale dont tu
Ne sais pas que c'est elle la supreme vertu

Une couronne du triregne est tombée sur les dalles
Les hiérarques la foulent sous leurs sandales
Ô splendeur démocratique qui pâit
Vienne le nuit royale ou l'on tuera les betes
La louve avec l'agneau l'aigle avec la colombe
Une foule de rois ennemis et cruels
Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle
Sortiront de la terre et viendront dans les airs
Pour boire de mon vin par deux fois millénaire

La Moselle et le Rhin se joignent en silence
C'est l'Europe qui prie nuit et jour a Coblence
Et moi qui m'attardais sur le quai a Auteuil
Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles
Du cep lorsqu'il est temps j'entendis la priere
Qui joignait la limpidité de ces rivieres

O Paris le vin de ton pays est meilleur que celui
Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord
Tous les grains ont muri pour cette soif terrible
Mes grappes d'hommes forts saignent dans le pressoir
Tu boiras a longs traits tout le sang de l'Europe
Parce que tu es beau et que seul tu es noble
Parce que c'est dans toi que Dieu peut devenir
Et tous mes vignerons dans ces belles maisons
Qui refletent le soir leurs feux dans nos deux eaux
Dans ces belles maisons nettement blanches et noires
Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire
Mais nous liquides mains jointes pour la priere
Nous menons vers le sel les eaux aventurieres
Et la ville entre nous comme entre des ciseaux
Ne reflete en dormant nul feu dans ses deux eaux
Dont quelque sifflement lointain parfois s'élance
Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence

Les villes répondaient maintenant par centaines
Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines
Et Treves la ville ancienne
A leur voix melait la sienne
L'univers toout entier concentré dans ce vin
Qui contenait les mers les animaux les plantes
Les cités les destins et les astres qui chantent
Les hommes a genoux sur la rive du ciel
Et le docile fer notre bon compagnon
Le feu qu'il faut aimer comme on s'aime soi-meme
Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front
L'éclair qui luit ainsi qu'une pensée naissante
Tous les noms six par six les nombres un a un
Des kilos de papier tordus comme des flammes
Et ceux-la qui sauront blanchir nos ossements
Les bons vers immortels qui s'ennuient patiemment
Des armées rangées en bataille
Des forets de crucifix et mes demeures lacustres
Au bord des yeux de celle que j'aime tant

Les fleurs qui s'écrient hors de bouches
Et tout ce que je ne sais pas dire
Tout ce que je ne connaîtrai jamais
Tout cela tout cela changé en ce vin pur
Dont Paris avait soif
Me fut alors présenté

Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui nous ressemblez
Je vous ai bus et ne fut pas désaltéré

Mais je connus des lors quelle saveur a l'univers

Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers
Sur le quai d'ou je voyais l'onde couler et dormir les bélandres

Écoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s'il me plaît l'univers

Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie

Et la nuit de septembre s'achevait lentement
Les feux rouges des ponts s'éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait a peine

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