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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-05-09 | [Acest text ar trebui citit în francais] | Înscris în bibliotecă de Dolcu Emilia
IX
Bien entendu, messieurs, je plaisante et je sais moi-même que mes plaisanteries ne sont pas très fines, mais tout de même, on n’a pas le droit de tout tourner en plaisanterie. Peut-être que je plaisante en grinçant des dents. Messieurs, certaines questions me tourmentent, permettez-moi-les : par exemple, vous voulez débarrasser l’homme de ses vieilles habitudes et redresser sa volonté conformément aux exigences de la science et du bon sens. Mais qu’est ce qui vous dit que cela est non seulement possible, mais nécessaire. Qu’est ce qui vous permet de conclure que le vouloir de l’homme a tellement besoin d’être redressé? En un mot, d’où prenez-vous que ce redressement lui apportera un avantage réel ? Et, s’il faut tout dire, d’où vous vient la certitude qu’il est toujours avantageux de ne pas contredire les vrais avantages, les profits normaux garantis par les arguments de la raison et de l’arithmétique, et que cette loi est valable pour toute l’humanité ? C’est que, pour le moment, ce n’est qu’une supposition de votre part. Et si c’était une loi de la logique, mais nullement une loi humaine. Vous croyez peut-être, messieurs, que je suis fou ? Permettez-moi de faire quelques réserves. D’accord, l’homme est un animal principalement bâtisseur, condamné à marcher consciemment vers son but, à exercer l’art de l’ingénieur et à se frayer éternellement une voie qui va bientôt quelque part. C’est peut-être précisément pour cela qu’il a quelquefois envie de faire un petit écart qu’il est condamné à se frayer cette voie, et aussi, ma foi, qu’aussi bête que l’homme d’action directe soit-il, en général, il lui vient quand même quelquefois à l’esprit qu’à l’expérience, sa voie arrive presque toujours quelque part et que l’essentiel n’est pas de savoir où elle va, mais seulement qu’elle avance et que l’enfant sage évite de négliger son métier d’ingénieur et de s’adonner à la funeste oisiveté laquelle, comme on le sait, est la mère de tous les vices. L’homme se plaît à bâtir et frayer des airs alovoies, c’est indiscutable. Messsieurs, pourquoi se plaît-il aussi passionnément à provoquer la destruction et le chaos ? Dites-le-moi un peu ! Au fait, là-dessus je voudrais faire moi-même une ou deux déclarations particulières. Cet amour de la destruction et du chaos ( qui le prend parfois, c’est indiscutable, c’et comme ça) ne lui viendrait-il pas de ce qu’il craint instinctivement d’atteindre son but et de parachever l’édifice qu’il est en train de bâtir ? Qu’est ce que vous en savez ? Peut-être que cet édifice, il ne l’aime que de loin – et de près, pas du tout ? Qu’il ne trouve de plaisir qu’à le construire et non à l’habiter, désireux de le mettre ensuite à la disposition des animaux domestiques, tels que fourmis, moutons et ainsi de suite. Justement, les fourmis ont un tout autre goût. Elles possèdent un étonnant édifice du même genre, à jamais inaltérable : la fourmilière. C’est par la fourmilière que les très estimables fourmis ont commencé, c’est probablement par elle qu’elles finiront, ce qui fait grandement honneur à leur constance et à leur esprit positif. Mais l’homme est un être frivole et disgrâcieux ; peut-être, pareil au joueur d’échecs, ne s’intéresse-t-il qu’à la poursuite du but, et non au but lui-même. Et qui sait (on ne saurait en jurer) ? peut-être que le seul but vers lequel tend l’humanité, sur cette terre, réside-t-il dans la permanence de cette poursuite, autrement dit dans la vie elle-même, et non dans le but proprement dit qui, bien sûr, ne peut être que deux fois deux quatre, c’est-à-dire une formule, alors que deux fois deux quatre, ce n’est déjà plus la vie, messieurs, mais le commencement de la mort. Tout au moins, l’homme a toujours, en quelque sorte, redouté ce deux fois quatre, comme je le redoute aujourd’hui. Admettons que l’homme ne fasse rien d’autre que le rechercher, qu’il traverse les océans et sacrifie sa vie dans cette quête, mais que parvenir à ses fins, trouver vraiment – ma ma parole ! il en a, pour ainsi dire, peur. Car il sent qu’après l’avoir trouvé, il n’aura plus rien à chercher. Quand les ouvriers ont fini de travailler, eux, au moins, ils touchent leur paye, ils vont au cabaret, après quoi ils se retouvent au violon – et voilà de l’occupation pour une semaine. Mais l’homme, où voulez-vous qu’il aille ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que chaque fois qu’il atteint l’un de ces buts, on lui remarque un air de gêne. Il lui plaît d’aller vers une conquête, mais plus tout à fait d’avoir conquis et ça, évidemment, c’est très, très drôle. Bref, l’homme est fait d’une drôle de façon ; et c’est tout cela sans doute qui permet de jouer sur les mots. Mais deux fois deux quatre est quand même insupportable. Deux fois deux quatre, à mon avis, c’est quand même du toupet ! Deux fois deux quatre n’est qu’un paltoquet, il se campe en travers de votre route, les poings sur les hanches et en crachant par terre. J’admets que deux fois deux quatre est une excellente chose ; mais tant qu’à tout approuver, deux fois deux cinq est quelquefois un petit machin pas mal du tout. Et pourquoi êtes-vous si fermement et solennellement convaincus que l’homme ne peut trouver avantage qu’à ce qui est normal et positif, rien qu’au bien-être, en un mot ? la raison ne se trompe-t-elle pas dans ses calculs ? Voyons, peut-être que l’homme ne tient exactement autant à la souffrance qu’au bien-être. C’est que l’homme est quelquefois terriblement attaché à la souffrance, c’est une véritable passion et un fait indiscutable. Inutile, ici, d’aller chercher l’histoire universelle ; demandez-le-vous à vous-mêmes, si seulement vous êtes un homme , et si vous avez tant de soit peu vécu. Pour ce qui est de mon avis personnel, il y a même quelque chose d’inconvenant à ne tenir qu’à son bien-être. Que ça soit bien ou mal, il y a des fois où démolir quelque chose, ça vous fait rudement plaisir. Et en somme , ici, je ne prends parti ni pour le bien-être, ni pour la souffrance. Je prends parti…pour mon caprice, pour qu’il me soit garanti quand j’en aurai besoin. Par exemple, la souffrance n’a pas droit de cité dans les vaudevilles, cela je le sais. Dans le palais de cristal, elle est même impensable : la souffrance, c’est le doute, c’est la négation, et qu’est ce que cela serait, qu’un palais de cristal dont on pourrait douter ? Et pourtant, je suis sûr que l’homme ne renoncera jamais à la véritable souffrance, c’est-à-dire à la destruction et au chaos. La souffrance… mais voyons, c’est l’unique moteur de la conscience ¹ ! Bien que j’aie, au début, porté à votre connaissance que la conscience était, à mon avis, le plus grand malheur pour l’homme, je sais cependant qu’il y tient et qu’il ne l’abandonnerait contre aucune satisfaction. Par exemple, la conscience, c’est quelque chose d’infiniment plus élévé que deux fois deux. Après deux fois deux, il est évident qu’il n’y aura plus rien à faire, pire : plus rien à découvrir. La seule ressource sera alors de se boucher les cinq sens et de se plonger dans la contemplation. Tandis qu’en restant conscient, on arrivera au même résultat, bien sûr, c’est-à-dire qu’on n’aura rien à faire, mais au moins on pourra se livrer à de petites séances d’auto-flagellation, et ça, quand même, ça ravigote. Cela a beau être rétrograde, c’est quand même mieux que rien. Notes 1. Cette idée est longuement développée et reprise par Tchéckov dans sa nouvelle Lueurs, 1888. |
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