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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2021-04-28 | [Acest text ar trebui citit în francais] | Înscris în bibliotecă de miron stefan Naître, c’est sortir : mourir, c’est rentrer. (Proverbes du Royaume d’Annam recueillis par le P. Jourdain, des Missions Étrangères). I Il faisait ce jour-là deux mille canicules qu’une simple révolution rythmique des Mandarins du Palais avait porté le premier Tétrarque, infime proconsul romain, sur ce trône, dès lors héréditaire par sélection surveillée, des Îles Blanches Ésotériques, dès lors perdues pour l’histoire, gardé toutefois cet unique titre de Tétrarque, qui sonnait aussi inviolablement que Monarque, outre les sept symbolismes d’état attachés à la désinence tétra contre celle de monos. En trois pâtés aux pylônes trapus et nus, cours intérieures, galeries, caveaux, et le fameux parc suspendu avec ses jungles viridant aux brises atlantiques, et l’observatoire ayant l’œil en vigie à deux cents mètres chez le ciel, et cent rampes de sphinx et de cynocéphales : le palais tétrarchique n’était qu’un monolithe, dégrossi, excavé, évidé, aménagé et finalement poli en un mont de basalte noir jaspé de blanc qui projetait encore une jetée de sonore trottoir, à double file de peupliers violet-gros-deuil en caisses, fort avant dans la solitude mouvante de la mer jusqu’à cet éternel rocher, l’air d’une éponge ossifiée, tendant un joli phare d’opéra-comique aux jonques noctambules. Titanique masse funèbre veinée de blême ! Comme ces façades d’un noir d’ivoire réverbèrent mystiquement le soleil de juillet d’aujourd’hui, ce soleil sur la mer qu’ainsi réverbéré en noir les chouettes du parc suspendu peuvent contempler sans ennuis du haut de leurs poudreux sapins !... Au pied du môle, la galère qui la veille avait amené ces deux intrus de princes, soi-disant fils et neveu d’un certain Satrape du Nord, se balançait sur ses amarres, commentée par quelques silhouettes oisives, mais pures de gestes à la manière indigène. Or, sous le plein-midi si stagnant encore, la fête n’éclatant d’ailleurs officiellement qu’à trois heures, le palais faisait la grasse après-midi, tardait à s’étirer de sa sieste. On entendait les gens des Princes du Nord et ceux du Tétrarque rire aux éclats, dans la cour où convergeaient les gouttières, rire sans se comprendre, jouant aux palets, échangeant leurs tabacs. On montrait à ces collègues étrangers comme veulent être étrillés les éléphants blancs... — Mais il n’y a pas d’éléphants blancs chez nous, faisaient-ils entendre. Et ils voyaient ces palefreniers se signer comme pour conjurer des propos impies. Et lors ils béaient aux paons flânant en rond, la roue irradiée au soleil, au-dessus du jet d’eau ; et puis s’amusaient, ils en abusaient même ! des échos gutturaux que se remballaient, dans la chaotique disposition de ces étages de rocs, leurs appels barbares. Le Tétrarque Émeraude-Archetypas parut sur la terrasse centrale, se dégantant au soleil Aède universel au Zénith, Lampyre de l’Empyrée, etc. ; et ces gens rentrèrent prestement vaquer à des besognes. Oh, le Tétrarque sur la terrasse, cariatide de dynasties ! Derrière lui, la ville, déjà en rumeur de fête, essorant ses copieux arrosages ; et plus loin, après les remparts pour rire et tout émaillés de fleurettes jaunes, comme la plaine s’étalait heureuse : jolies routes à petits pâtés de silex concassés, damiers des cultures variées ! Devant lui, la mer, la mer, toujours nouvelle et respectable, la Mer puisqu’il n’y a pas d’autre nom pour la nommer. Et l’unique ponctuation du silence était maintenant les joyeux abois clairs de chiens, là-bas, que des gamins, luisant nus dans les micas des sables torréfiés, lançaient, sur d’exotiques sifflements, contre la volute déferlante de la ligne de la mer, la mer au ras de laquelle ces enfants faisaient tout à l’heure des ricochets avec leurs flèches de rebut. Or, accoudé au frais de ruisselets invisibles, parmi les clématites de la terrasse, c’était en méandres décousus, tristes et sans art, que le Tétrarque rejetait boudeusement la fumée de son houka de midi. Un instant, hier, à cette louche arrivée d’un messager annonçant les Princes du Nord, son sort trop comblé sur ces îles trop comblées avait ballotté entre les terreurs immédiatement domestiques et l’absolu dilettantisme qui saura jouir de son vatout dans la débâcle. Car il appartenait à ces fils du Nord, mangeurs de viandes, aux faces non épilées, ce malencontreux Iaokanann tombé ici un beau matin, avec ses lunettes et sa barbe rousse inculte, commentant dans la langue même du pays des brochures qu’il distribuait, gratis, mais en leur faisant l’article de si perturbatrice façon, que le peuple avait failli le lapider, et qui méditait à cette heure au fond de l’unique oubliette du palais tétrarchique. Le vingtième centenaire de la dynastie des Émeraude-Archetypas allait-il avoir pour bouquet de feu d’artifice une guerre de l’autre monde, après tant de siècles d’ésotérisme sans histoire ? Iaokanann avait parlé de sa patrie comme d’un pays rabougri d’indigence, affamé du bien d’autrui, cultivant la guerre en industrie nationale. Et ces deux princes pouvaient bien venir pour réclamer cet individu, un monsieur de génie après tout, et leur sujet, et compliquer ce prétexte, exhiber un droit des gens occidental... Heureux encore ! et cela grâce aux inexplicables intercessions de sa fille Salomé, de n’avoir pas dérangé le bourreau de sa traditionnelle sinécure honoraire, en l’envoyant vers Iaokanann avec le Kriss sacré ! Mais, piètre alerte ! Les deux princes faisaient simplement un voyage de circumnavigation, à la recherche de colonies vaguement occupées, et n’abordaient aux Iles Blanches qu’en passant, par curiosité. Et comment donc ! c’était dans ce bout du monde que leur fameux Iaokanann finissait par se faire pendre ? La chose les avait mis en verve de détails sur les tribulations du pauvre diable déjà si peu prophète en son pays. Ainsi le Tétrarque biberonnait son houka de midi, l’air vacant, l’humeur aussi délabrée que tous les jours à cette heure culminante, — plus délabrée encore aujourd’hui dans ces bruits montants de fête nationale, pétards et orphéons, pavoisements et limonades... Demain matin, à l’horizon pourtant si infini mais par delà lequel vivaient sous le même soleil bien d’autres peuples, paraît-il, la galère de ces messieurs s’effacerait. Émiettant maintenant, penché dans les syrupeuses clématites de la balustrade de faïence, des fleurs de brioche aux poissons des viviers inférieurs, Émeraude-Archetypas se répétait n’avoir plus à compter même sur les petites rentes de ses facultés à la retraite, sa vénérable carcasse décourageant décidément tous les galvaniques de l’art, de la méditation, des âmes sœurs et de l’Industrie. Dire qu’au jour de sa naissance s’abattit pourtant sur le noir palais dynastique un remarquable orage où plusieurs personnes dignes de foi virent un éclair calligraphier alpha et oméga ! Que de midis tués à soupirer sur cette tirelire mystique ! Rien de particulier ne s’était manifesté. Et puis alpha, oméga, c’est bien élastique. Enfin, voici tantôt deux mois que, renonçant aux chapitres jeunes, et se battant les flancs pour retrouver un peu de cet enthousiasme de résignation au néant qui avait ascétisé sa vingtième année, il s’imposait sérieusement le régime des pèlerinages quotidiens par la nécropole, si fraîche d’ailleurs l’été, des aïeux. — L’hiver allait venir ; les cérémonies du culte de la Neige, l’investiture de son petit-fils. Et puis Salomé lui restait, qui ne voulait pas entendre parler des douceurs de l’hymen, la chère enfant ! Émeraude-Archetypas attouchait déjà un timbre pour redemander de la brioche consacrée aux poissons de luxe de juillet, quand sonna sur la dalle, derrière lui, la canne de bronze de l’Ordonnateur-des-mille-riens. Les Princes du Nord rentraient de visiter la ville ; ils attendaient le Tétrarque dans la salle des Mandarins du Palais. II Les dits Princes du Nord, sanglés, pommadés, gantés, chamarrés, la barbe étalée, la raie à l’occiput (mèches ramenées sur les tempes pour donner le ton aux profils des médailles), attendaient, appuyant d’une main leur casque sur la cuisse droite, de l’autre tourmentant, en un dandinement d’étalon flairant quand même et partout la poudre, la poignée de leur sabre. Ils s’entretenaient parmi les grands : le Grand Mandarin, le Grand Maître des Bibliothèques, l’Arbitre des Élégances, le Conservateur des Symboles, le Répétiteur des Gynécées et Sélections, le Pope des Neiges et l’Administrateur de la Mort, entre deux rangs de scribes maigres et rapides, le calame au côté, l’encrier au cœur. Leurs altesses congratulèrent le Tétrarque, se félicitant eux-mêmes du bon vent qui... à pareil glorieux jour... en ces îles, — et terminèrent par l’éloge de la capitale, dont la Basilique Blanche, où ils avaient ouï un Taedium laudamus à l’orgue de Barbarie des Sept-Douleurs, et le Cimetière des Bêtes et des Choses n’étaient pas les moindres curiosités. On servit une collation. Et comme les princes juraient se faire un scrupule de toucher à de la viande chez des hôtes si orthodoxes en végétarisme et ichthyophagie, la table fut à peindre, dans l’arrangement léger, parmi les cristaux, de ces quelques artichauts callipyges nageant en des gousses de fer hérissées et à charnières, asperges sur claies de jonc roses, anguilles gris-perle, gâteaux de dattes, gammes de compotes, divers vins doux. Alors, précédés de l’Ordonnateur-des-mille-riens, le Tétrarque et son entourage se mirent en devoir de faire à leurs hôtes les honneurs du palais, du titanique palais funèbre veiné de blême. On irait d’abord au panorama des îles vues de l’observatoire, pour descendre étage à étage par le parc, la ménagerie et l’aquarium, jusqu’aux caveaux. Hissé là-haut, et pneumatiquement, ma foi, le cortège traversa prestement sur la pointe des pieds les appartements de Salomé, entre maint claquement de porte par où s’évanouirent deux, trois dos de négresses aux omoplates de bronze huilé. Même, au beau milieu d’une pièce lambrissée de majoliques (oh, si jaunes !) se trouvait abandonnée une énorme cuvette d’ivoire, une considérable éponge blanche, des satins trempés, une paire d’espadrilles roses (oh, si roses !). Encore, une salle de livres, puis une autre encombrée de matériaux métallothérapiques, un escalier tournant, et l’on respira à l’air supérieur de la plate-forme, — ah ! juste à temps pour voir disparaître une jeune fille mélodieusement emmousselinée d’arachnéenne jonquille à pois noirs, qui se laissa glisser, par un jeu de poulies, dans le vide, vers d’autres étages !... Les princes, se confondant déjà en salamalecs galants sur leur intrusion, se turent court devant ce cercle d’yeux étonnés qui semblaient avouer : « Bon, bon, savez-vous, rien des choses d’ici ne nous regarde. » Et de circuler alors en plein ciel, par menues phrases d’admiration suffoquée, autour de cette coupole d’observatoire abritant un grand équatorial de dix-huit mètres, coupole mobile, peinte à fresque imperméable, et dont la masse de cent mille kilos, flottant sur quatorze fermes d’acier dans sa cuve de chlorure de magnésium, virait en deux minutes, paraît-il, sous la simple impulsion de la main de Salomé. À propos, s’il prenait fantaisie à ces impayables exotiques de nous jeter par-dessus bord ! pensèrent, d’un même frisson, les deux princes. Mais ils étaient plus robustes dix fois, à eux deux, dans leur uniforme collant, que cette douzaine de personnages pâles, épilés, les doigts chargés de bagues, sacerdotalement empêtrés dans leurs coruscants brocarts lamés. Et ils s’amusèrent à reconnaître là-bas, au port, leur galère, pareille à quelque coléoptère au corselet de tôle fourbie. Et on leur dénombrait les îles, archipel de cloîtres de nature, chacune avec sa caste, etc. On redescendit par une salle des Parfums où l’Arbitre des Élégances marqua dans les présents que leurs altesses voudraient bien emporter, et ceux-ci comme tripotages occultes de Salomé : des fards sans carbonate de plomb, des poudres sans céruse ni bismuth, des régénérateurs sans cantharide, des eaux lustrales sans protochlorure de mercure, des épilatoires sans sulfure d’arsenic, des laits sans sublimé corrosif ni oxyde de plomb hydraté, des teintures vraiment végétales sans nitrate d’argent, hyposulfite de soude, sulfate de cuivre, sulfure de sodium, cyanure de potassium, acétate de plomb (est-ce possible !) et deux dames-jeannes d’essences-bouquets de printemps et d’automne. Au bout d’un couloir humide, interminable, sentant presque le guet-apens, l’Ordonnateur ouvrit une porte verdie de mousses et de fongosités dignes d’écrins, et l’on se surprit en plein dans le grand silence de ce fameux parc suspendu — ah ! juste à temps pour voir disparaître au détour d’un sentier le frou-frou d’une jeune forme hermétiquement emmousselinée d’arachnéenne jonquille à pois noirs, escortée de molosses et de lévriers dont les abois gambadeurs, et tout sanglotants de fidélité, allèrent se perdant en lointains échos. Oh ! toute en échos de corridors inconnus, cette solitude kilométriquement profonde d’un vert sévère, arrosée de taches de lumières, meublée uniquement de l’armée des raides pins, aux troncs nus d’un ton de chair saumoné, n’éployant que très haut, très haut leurs poussiéreux parasols horizontaux. Les barres des rayons du soleil se posaient entre ces troncs avec la même douceur tranquille qu’entre les piliers de quelque chapelle claustrale à soupiraux grillés. Une brise de mer venait à passer dans ces futaies suprêmes, étrange rumeur lointaine d’un express dans la nuit. Puis le silence des grandes altitudes se rétablissait, étant chez lui. Tout près, oh ! quelque part, un bulbul dégorgeait des garulements distingués ; bien loin, un autre lui répondait, comme chez eux, en leur volière séculièrement dynastique. Et on allait, supputant l’épaisseur de ce sol artificiel, feutré des feuilles mortes et des couches d’aiguilles de pin de mille antans, qui logeait ainsi à l’aise les racines de ces pins si patriarches ! Puis, des abîmes de pelouses, des dévalements bien gazonnés provoquant un rêve de kermesses faunesques ; et de stagnantes pièces d’eau où s’enlisaient d’ennui et d’ans des cygnes porteurs de boucles d’oreilles vraiment trop lourdes pour leurs cous fuselés ; et maints décamérons de statues polychromes, en rupture de piédestaux, dans des poses d’une surprenante... noblesse. Enfin, le clos aux gazelles faisait transition, sans autre prétention d’ailleurs, entre les vergers et la Ménagerie et l’Aquarium. Les fauves ne daignèrent point déclore leur paupière ; les éléphants se balançaient avec de rudes frou-frous de crépi, mais les idées ailleurs ; les girafes, malgré la douceur café au lait de leurs robes, parurent exagérées, s’obstinant à regarder plus haut que cette cour brillante ; les singes n’interrompirent nullement les scènes d’intérieur de leur phalanstère, les volières scintillaient assourdissantes ; les serpents n’en finissaient pas depuis une semaine de changer de peau ; et les écuries se trouvaient justement dégarnies de leurs plus belles bêtes, étalons, cavales et zèbres, prêtées à la municipalité pour une cavalcade en ce jour. L’Aquarium ! Ah ! l’Aquarium par exemple ! Arrêtons-nous ici. Comme il tournoie en silence !... Labyrinthe de grottes en corridors à droite, à gauche avec leurs compartiments en échappées lumineuses et vitrées de patries sous-marines. Des landes à dolmens incrustés de visqueuses joailleries, des cirques de gradins basaltiques où des crabes d’une obtuse et tâtonnante bonne humeur d’après-dîner s’empêtrent en couples avec de petits yeux rigoleurs de pince-sans-rire... Des plaines, des plaines d’un sable fin, si fin que soulevé parfois du vent des coups de queue d’un poisson plat arrivant des lointains dans un flottement d’oriflamme de liberté, regardé qui passe et qui nous laisse et qui s’en va, par de gros yeux, çà et là à fleur de sable, et dont c’est même tout le journal. Et la désolation de steppes occupées d’un seul arbre foudroyé et ossifié où colonisent de toutes vibrantes grappes d’hippocampes... Et, enjambés de ponts naturels, des défilés moussus où ruminent, vautrés, les carapaçons ardoisés de limules à queue de rat, quelques-unes chavirées et se débattant, niais sans doute d’elles-mêmes ainsi pour s’étriller... Et sous de chaotiques arcs-de-triomphe en ruines, des anguilles de mer s’en allant comme des rubans frivoles ; et des migrations à la bonne aventure de nuclœus hirsutes, cils en houppe autour d’une matrice qui s’évente ainsi dans l’ennui des longs voyages... Et des champs d’éponges, d’éponges en débris de poumons ! des cultures de truffes en velours orange ; et tout un cimetière de mollusques nacrés ; et ces plantations d’asperges confites et tuméfiées dans l’alcool du Silence... Et, à perte de vue, des prairies, des prairies émaillées de blanches actinies, d’oignons gras à point, de bulbes à muqueuse violette, de bouts de tripes égarées là et, ma foi, s’y refaisant une existence, de moignons dont les antennes clignent au corail d’en face, de mille verrues sans but ; toute une flore fœtale et claustrale et vibratile, agitant l’éternel rêve d’arriver à se chuchoter un jour de mutuelles félicitations sur cet état de choses... Oh ! encore, ce haut plateau où, collée en ventouse, la Vigie d’un poulpe, minotaure gras et glabre de toute une région !... Avant de sortir, le Pope des Neiges se tourne vers le cortège arrêté et parle, comme récitant une antique leçon : « Ni jour, ni nuit, Messieurs, ni hiver, ni printemps, ni été, ni automne, et autres girouettes. Aimer, rêver, sans changer de place, au frais des imperturbables cécités. Ô monde de satisfaits, vous êtes dans la béatitude aveugle et silencieuse, et nous, nous desséchons de fringales supra-terrestres. Et pourquoi les antennes de nos sens, à nous, ne sont-elles pas bornées par l’Aveugle, et l’Opaque et le Silence, et flairent-elles au delà de ce qui est de chez nous ? Et que ne savons-nous aussi nous incruster dans notre petit coin pour y cuver l’ivre-mort de notre petit Moi ? « Mais, ô villégiatures sous-marines, nous savons pour nos fringales supra-terrestres deux régals de votre trempe : la face de la trop aimée qui sur l’oreiller s’est close, bandeaux plats agglutinés des sueurs dernières, bouche blessée montrant sa pâle denture dans un rayon d’aquarium de la Lune (oh, ne cueillez, ne cueillez !) — et la Lune même, ce tournesol jaune, aplati, desséché à force d’agnosticisme. (Oh ! tâchez, tâchez de cueillir !) » Ce fut donc l’Aquarium ; mais est-ce que ces princes étrangers comprirent ? Et l’on enfila prestement et discrètement le corridor central des Gynécées, peint de scènes callipédiques, d’une mélancolie pourrie d’aromates féminins ; on n’entendait que le ruissellement d’un jet d’eau — à gauche ? à droite ? — trempant de sa fraîcheur le filet d’une cantilène inoubliablement esclave, infortunée et stérile. Et leur ignorance des rites du cru les exposant à commettre quelque impair funèbre, les princes traversèrent du même pas discret la nécropole tétrarchique, deux files de placards, masqués de portraits en pied, gardant des fioles et mille reliques réalistes, touchantes seulement pour la famille, on le comprendra de reste. Mais, par exemple, ce qu’ils désiraient absolument, c’était revoir leur vieil ami Iaokanann ! On suivit donc un fonctionnaire à clef brodée traversalement à l’échine, lequel s’arrêtant au bout d’un boyau sentant le nitre, désigna une grille qu’il vit s’abaisser, par un praticable, à hauteur d’appui ; et l’on put approcher et distinguer dans une cellule ce malheureux Européen qui se soulevait, dérangé de son à plat-ventre, le nez dans un désordre de papiers misérables. S’entendant souhaiter un double cordial bonjour dans sa langue maternelle, Iaokanann s’était mis debout, rajustant ses grosses lunettes rafistolées de fil. Oh ! mon Dieu, ses princes ici ! — Que de sales soirs d’hiver, ses socques buvant la boue de neige, au premier rang des pauvres diables rentrant de leur journée salariée et s’attardant un instant là, contenus par de tyranniques policiers à cheval, il les avait observés descendre empanachés des lourds carrosses de gala et monter, entre deux files de sabres au clair, le grand escalier de ce palais, de ce palais aux fenêtres a giorno duquel il montrait, en s’en allant, le poing, murmurant chaque fois que les « temps » étaient proches ! — Et maintenant, arrivés, ces temps ! accomplie au pays, la révolution promise ! et passé dieu, son pauvre vieux prophète Iaokanann ! et cette démarche personnelle royale, cette héroïque expédition lointaine de ses princes venant le délivrer, sans doute la touchante consécration exigée par les peuples pour sceller en lui l’avènement de la Pâque Universelle ! Automatiquement, d’abord, il salua de l’échine, à la mode de son pays, cherchant en quelle phrase mémorable, historique, certes fraternelle, mais digne aussi... La parole lui fut illico rentrée par le neveu du Satrape du Nord, espèce de soudard à calvitie apoplectique, qui bafouillait à chacun et à propos de bottes que, à l’instar de Napoléon Ier, il exécrait les « idéologues » : — « Ah ! ah ! te voilà, idéologue, écrivassier, conscrit réformé, bâtard de Jean-Jacques Rousseau. C’est ici que tu es venu te faire pendre, folliculaire déclassé ! Bon débarras ! Et que ta tignasse mal lavée aille bientôt rejoindre dans un panier à guillotine celles de tes confrères du Bas-Bois ! oui, la conjuration du Bas-Bois, des têtes fraîches d’hier. » Oh ! brutes, brutes indéracinables ! Et le complot du Bas-Bois avait échoué ! Assassinés, ses frères ! et nul ne lui en donnerait des détails humains. Fini, fini ; rien qu’à crever comme les frères sous le Talon Constitué. Le malheureux publiciste se raidit résolument vers le silence, attendant que, tout ce beau monde parti, il pût se laisser mourir dans son coin ; deux longues larmes blanches lui coulant de dessous les lunettes le long de ses joues émaciées vers sa barbe pauvre. — Et soudain, on le vit se hausser sur ses pieds nus, les mains tendues à une apparition à qui il hoqueta les plus doux diminutifs de sa langue maternelle. On se retourna, — ah ! juste pour voir disparaître dans un tintement de clefs, sous le blafard de cet in pace, une jeune forme décidément emmousselinée d’arachnéenne jonquille à pois noirs... Et Iaokanann retomba à plat-ventre sur sa litière ; et s’apercevant qu’il venait de renverser l’écritoire parmi ses paperasses, il se mit à étancher cette encre avec une tendresse enfantine. Le cortège remonta, sans commentaire ; le neveu du Satrape du Nord, tourmentant le carcan de son hausse-col, mâchant des principes. III Sur un mode allègre et fataliste, un orchestre aux instruments d’ivoire improvisait une petite ouverture unanime. La cour entra, saluée du riche brouhaha de deux cents luxueux convives se levant de leurs très beaux lits. On s’arrêta un instant devant une pyramide en étagères des présents offerts au Tétrarque en ce jour. Les deux Princes du Nord se poussaient du coude, s’excitant à détacher de leur cou le collier de la Toison de fer pour le passer à celui de leur hôte. Ni l’un ni l’autre n’osa. La nullité artistique de ce collier sautait, surtout ici, aux yeux. Et quant à sa valeur honorifique, comme ils ne voyaient rien de ce genre autour d’eux, il leur parut que les explications nécessaires pour la mettre en lumière risquaient fort de tomber à plat, à peine sur un succès d’estime. On s’installa ; Émeraude-Archetypas présentant son fils et son petit-fils, deux superbes produits (superbes dans le sens ésotérique et blanc naturellement) emblématiquement parés. Et alors, dans cette aérienne salle jonchée de joncs jaune jonquille, entonnellée tout autour d’assourdissantes volières, un jet d’eau central fusant percer là-haut un bariolé vélarium de caoutchouc blanc sur lequel on l’entendait retomber ensuite en belle pluie frigide et claquante, ça fit, le long de tables demi-circulaires, dix rangs de lits parés chacun selon la science du convive — et, en face, une scène d’Alcazar, merveilleusement profonde, où la fleur des baladins, jongleurs, beautés et virtuoses des Iles devait venir s’effeuiller. Une finaude brise courait au long du vélarium bien alourdi, pourtant, de l’averse incessante du jet d’eau. Et les volières, heureuses de ses froissements de couleur, se turent à regret quand la musique commença à vous accompagner le repas. Pauvre Tétrarque ! ces musiques, ce parterre de respects luxueux en ce jour pompeux le navraient au fond. Il ne touchait que du bout des dents à l’ingénieuse succession des mets, les chipotant entre ses spatules de neige durcie, s’oubliant comme un enfant, bouche bée, devant la folle frise de cirque qui évoluait sur la scène de l’Alcazar. C’était, sur la scène de l’Alcazar : La jeune fille serpent, fluette, visqueusement écaillée de bleu, de vert, de jaune, la poitrine et le ventre rose tendre ; elle coulait et se contournait, insatiable de contacts personnels, tout en zézayant l’hymne qui commence ainsi : « Biblis, « ma sœur Biblis, tu t’es changée en source, toi !… » Puis une procession de costumes sacramentellement inédits, symbolisant chacun un désir humain. Quel raffinement ! Puis des intermèdes d’horizontaux cyclones de fleurs électrisées, une trombe horizontale de bouquets hors d’eux-mêmes !… Puis des clowns musiciens portant au cœur la manivelle des réels orgues de Barbarie qu’ils tournaient avec des airs de Messies qui ne se laisseront pas influencer et iront jusqu’au bout de leur apostolat. Et trois autres clowns jouèrent l’Idée, la Volonté, l’Inconscient. L’Idée bavardait sur tout, la Volonté donnait de la tête contre les décors, et l’Inconscient faisait de grands gestes mystérieux comme un qui en sait au fond plus long qu’il n’en peut dire encore. Cette trinité avait d’ailleurs un seul et même refrain : Ô Chanaan, Du bon néant ! Néant, la Mecque Des bibliothèques ! Elle obtint un succès de fou rire. Puis des virtuoses du trapèze volant, aux ellipses presque sidérales !… Puis, on apporta un parquet de glace naturelle ; et jaillit un adolescent patineur, aux bras croisés sur les brandebourgs d’astrakan blanc de sa poitrine, qui ne s’arrêta qu’après avoir décrit toutes les combinaisons de courbes connues ; puis il valsa sur les pointes comme une ballerine ; puis il dessina en eau-forte sur la glace une cathédrale gothique flamboyant, sans vous omettre une rosace, une dentelle ! puis figura une fugue à trois parties, finit par un inextricable tourbillon de fakir possédé del diavolo et sortit de la scène, les pieds en l’air, patinant sur les ongles d’acier de ses mains !… Et ce fut clos par une théorie de tableaux vivants, des nudités pudiques comme des végétaux, en graduellement eurythmiques symboles, à travers les calvaires de l’Esthétique. On avait charroyé les calumets ; la conversation devenait générale ; Iaokanann, assurément peu gai d’entendre cette fête au-dessus de sa tête, en faisait les frais. Les Princes du Nord disaient l’autorité, armée, religion suprême, sentinelle des repos, du pain et de la concurrence internationale, s’embrouillaient et, pour couper court, citaient ce distique en manière d’épiphonème : Et tout honnête homme, d’ailleurs, professe Le perfectionnement de l’Espèce. Les mandarins pensaient qu’il fallait atrophier, neutraliser les sources de concurrence sociale, s’enfermer par cénacles d’initiés vivotant en paix entre eux dans les murailles de la Chine, etc., etc. Et la musique jouant seule semblait continuer ce qu’on était trop éphémère pour formuler. Et enfin voici qu’un silence s’élargit, comme un épervier à mailles pâles jeté aux soirs de grande pêche ; on se levait ; il paraît que c’était Salomé. Elle entra, descendant l’escalier tournant, raide dans son fourreau de mousseline ; d’une main elle faisait signe qu’on se recouchât ; une petite lyre noire pendait à son poignet ; elle détacha du bout des doigts un baiser vers son père. Et elle vint se poser, en face, sur l’estrade devant le rideau tiré de l’Alcazar, attendant qu’on l’eût contemplée de tout son cœur, s’amusant par contenance à vaciller sur ses pieds exsangues aux orteils écartés. Elle ne faisait attention à personne. — Saupoudrés de pollens inconnus, ses cheveux se défaisaient en mèches plates sur les épaules, ébouriffés au front avec des fleurs jaunes, et des pailles froissées ; ses épaules nues retenaient, redressée au moyen de brassières de nacre, une roue de paon nain, en fond changeant, moire, azur, or, émeraude, halo sur lequel s’enlevait sa candide tête, tête supérieure mais cordialement insouciante de se sentir unique, le col fauché, les yeux décomposés d’expiations chatoyantes, les lèvres découvrant d’un accent circonflexe rose pâle une denture aux gencives d’un rose plus pâle encore, en un sourire des plus crucifiés. Oh ! le céleste gentil être d’esthétiques bien comprises, la fine recluse des Îles Blanches Ésotériques ! Hermétiquement emmousselinée d’une arachnéenne jonquille à pois noirs qui, s’agrafant çà et là de fibules diverses, laissait les bras à leur angélique nudité, formait entre les deux soupçons de seins aux amandes piquées d’un œillet, une écharpe brodée de ses dix-huit ans et, s’attachant un peu plus haut que l’adorable fossette ombilicale en une ceinture de bouillonnes d’un jaune intense et jaloux, s’adombrait d’inviolable au bassin dans l’étreinte des hanches maigres, et venait s’arrêter aux chevilles, pour remonter par derrière en deux écharpes flottant écartées, rattachées enfin aux brassières de nacre de la roue de paon nain en fond changeant, azur, moire, émeraude, or, halo à sa candide tête supérieure ; elle vacillait sur ses pieds, ses pieds exsangues, aux orteils écartés, chaussés uniquement d’un anneau aux chevilles d’où pleuvaient d’éblouissantes franges de moire jaune. Oh ! le petit Messie à matrice ! Que sa tête lui était onéreuse ! Elle ne savait que faire de ses mains, les épaules même un peu gênées. Qui pouvait bien lui avoir crucifié son sourire, la petite Immaculée-Conception ? Et décomposé le bleu de ses regards ? — Oh ! exultaient les cœurs, que sa jupe doit sentir simple ! Que l’art est long et la vie courte ! Oh, causer avec elle dans un coin, près d’un jet d’eau, savoir non son pourquoi, mais son comment, et mourir !... mourir, à moins que... Elle va peut-être raconter des choses, après tout ?... Penché en avant, parmi les soyeux coussins éboulés, ses rides dilatées, ses pupilles jutant derrière les créneaux de leurs paupières dédorées, tourmentant par contenance le Sceau pendu à son cou, le Tétrarque venait de passer à un page l’ananas qu’il grignotait et sa tiare de tours. — Recueille-toi ! recueille-toi d’abord, Idée et Galbe, ô Cariatide des îles sans histoire ! suppliait-il. Puis, il souriait à tous, en père heureux, l’air de dire : « Vous allez voir ce que vous allez voir », mettant les princes ses hôtes au courant, de façon fort décousue, où ceux-ci comprirent que, pour faire un sort à la petite personne en question, la Lune s’était saignée aux quatre veines, et qu’on la tenait d’ailleurs généralement (il y avait eu un Concile là-dessus) pour la sœur de lait de la Voie-Lactée (tout pour elle !). Or, délicatement campée sur le pied droit, la hanche remontée, l’autre jambe infléchie en retard à la Niobide, Salomé, ayant donné cours à un petit rire toussotant, peut-être pour faire assavoir que surtout fallait pas croire qu’elle se prenait au sérieux, pinça sa lyre noire jusqu’au sang, et, de la voix sans timbre et sans sexe d’un malade qui réclame sa potion dont, au fond, il n’a jamais eu plus besoin que vous ou moi, improvisa à même : « Que le Néant, c'est-a-dire la Vie latente qui verra le jour après-demain, au plus tôt, est estimable, absolvant, coexistant à l’Infini, limpide comme tout ! Se moquait-elle ? Elle continuait : « Amour ! inclusive manie de ne pas vouloir mourir absolument (piètre échappatoire !), ô faux frère, je ne te dirai pas qu’il est temps de s’expliquer. D’éternité, les choses sont les choses. Mais qu’il serait vrai de se faire des concessions mutuelles sur le terrain des cinq sens actuels, au nom de l’Inconscient ! « Ô latitudes, altitudes, des Nébuleuses de bonne volonté aux petites méduses d’eau douce, faites-moi donc la grâce d’aller pâturer les vergers empiriques. Ô passagers de cette Terre, éminemment idem à d’incalculables autres aussi seules dans la vie en travail indéfini d’infini, L’Essentiel actif s’aime (suivez-moi bien), s’aime dynamiquement, plus ou moins à son gré : c’est une belle âme qui se joue du biniou à jamais, ça la regarde. Soyez, vous, les passifs naturels ; entrez automatiques comme Tout, dans les Ordres de l’Harmonie Bien-Veillante ! Et vous m’en direz des nouvelles. « Oui, théosophes hydrocéphales comme douces volatiles du peuple, tous groupes quelconques de phénomènes sans garantie du gouvernement d’au delà, redevenez des êtres atteints d’incurie, broutez-moi, au jour le jour, de saisons en saisons, ces Deltas sans sphinx, dont les angles égalent quand même deux droits. C’est la le plus bienséant, ô générations incurablement pubères ; et surtout feignez l’empêtrement dans les limbes irresponsables des virtualités que je vous ai dites. L’Inconscient farà da se. Et vous, fatals Jourdains, Ganges baptismaux, courants sidéraux insubmersibles, cosmogonies de Maman ! lavez-vous, à l’entrée, de la tache plus ou moins originelle du Systématique ; que nous soyons d’avance mâchés en charpie pour la Grande Vertu Curative (disons palliative) qui raccommode les accrocs des prairies, des épidermes, etc. — Quia est in ea virtus dormitiva. — Va… » Salomé s’arrêta court, ramenant ses cheveux poudrés de pollens inconnus ; ses soupçons de seins si haletants que les œillets en tombèrent (faisant leurs amandes veuves). Pour se remettre, elle tira de sa noire lyre une fugue sans rapport. — Oh ! continue, continue, dis tout ce que tu sais ! geignait Émeraude-Archetypas, battant des mains comme un enfant. Ma parole tétrarchique ! tu auras tout ce que tu voudras, l’Université, mon Sceau, le culte des Neiges ? Inocule-nous ta grâce d’Immaculée-Conception... Je m’ennuie, nous nous ennuyons tant ! n’est-ce pas, messieurs ? — L’assistance exhalait réellement une rumeur d’inédit malaise ; des tiares titubaient. On avait honte les uns des autres, mais la faiblesse du cœur humain ! même chez une race si correcte... (voisin, tu m’as compris). Après un sommaire abatage de théogonies, théodicées et formules de la sagesse des nations (cela du ton bref d’un chef de chœurs qui dit : « Une mesure pour rien, n’est-ce pas ? ») Salomé reprit son garulement mystique délirant un peu, la face bientôt renversée, la pomme d’Adam sautant à faire peur — comme plus bientôt elle-même qu’un tissu arachnéen avec une âme en goutte de météore transparaissant. Ô marées, hautbois lunaires, avenues, parterres au crépuscule, vents déclassés des novembres, rentrée des foins, vocations manquées, regards des animaux, vicissitudes ! — Mousselines jonquille à pois funèbres, yeux décomposés, sourires crucifiés, nombrils adorables, auréoles des paons, œillets chus, fugues sans rapport. On se sentait renaître inculte, jeune au delà, l’âme systématique s’expirant en spirales à travers des averses aux clameurs indubitablement définitives, pour le bien de la Terre, et compris de partout, palpé de Varuna, l’Air Omniversel, qui s’assurait si l’on était prêt. Et Salomé insistait follement : « C’est l’état pur, vous dis-je ! Ô sectaires de la conscience, pourquoi vous étiqueter individus, c’est-à-dire indivisibles ? Soufflez sur les chardons de ces sciences dans le Levant de mes Septentrions ! « Est-ce une vie que s’obstiner à se mettre au courant de soi-même et du reste, en se demandant à chaque étape : Ah ça ! qui trompe-t-on ici ? « Loin, les cadres, les espèces, les règnes ! Rien ne se perd, rien ne s’ajoute, tout est à tous ; et tout est apprivoisé d’avance, et sans billets de confession, à l’Enfant prodigue (on le fera chavirer comme il faut, à demi-mot). « Et ce ne seront pas expédients a expiations et rechutes ; mais les vendanges de l’Infini piétinées ; pas expérimental, mais fatal ; parce que... « Vous êtes l’autre sexe, et nous sommes les petites amies d’enfance (toujours en Psychés insaisissables, il est vrai). Plongeons donc, et dès ce soir, dans l’harmonieuse mansuétude des moralités préétablies ; flottons aux dérives, le ventre florissant égaré à l’air ; dans le parfum des gaspillages et des hécatombes nécessaires ; vers le Ici-bas où l’on n’entendra plus battre son cœur ni le pouls de la conscience. « Ça s’avance par stances, dans les salves des valves, en luxures sans césures, en surplis apâlis qu’on abdique vers l’oblique des dérives primitives ; tout s’étire hors du moi ! — (Peux pas dire que j’en sois). » La petite vocératrice jaune à pois funèbres rompit sa lyre sur son genou, et reprit sa dignité. L’assistance intoxiquée s’essuyait les tempes par contenance. Un silence d’ineffable confusion passa. Les Princes du Nord n’osaient tirer leur montre, encore moins demander : « À quelle heure la couche-t-on ? » Il ne devait guère être plus de six heures. Le Tétrarque scrutait les dessins de ses coussins ; c’était fini ; la voix dure de Salomé vous le redressa vivement. — Et maintenant, mon père, je désirerais que vous me fassiez monter chez moi, en un plat quelconque, la tête de Iaokanann. C’est dit. Je monte l’attendre. — Mais, mon enfant, tu n’y penses pas ! cet étranger… Mais la salle entière opina fermement de la tiare qu’en ce jour la volonté de Salomé fût faite ; et les volières conclurent en reprenant leur scintillement assourdissant. Émeraude-Archetypas coulait un œil de côté vers les Princes du Nord ; pas le moindre signe d’approbation ou de désapprobation. Ça ne les regardait sans doute pas. « Adjugé ! » Le Tétrarque lança son sceau à l’Administrateur de la Mort. Déjà les convives se dispersaient, causant d’autre chose, vers le bain du soir. IV Accoudée au parapet de l’observatoire, Salomé, fuyeuse de fêtes nationales, écoutait la mer familière des belles nuits. Une de ces nuits étoilées au complet ! Des éternités de zéniths de brasiers ! Oh ! que de quoi s’égarer, par exemple, pour un express d’exil ! etc. Salomé, sœur de lait de la Voie Lactée, ne sortait guère d’elle-même qu’aux étoiles. D’après la photographie en couleur (grâce au spectre) des étoiles dites jaunes, rouges, blanches, de seizième grandeur, elle s’était fait tailler de précis diamants dont elle semait sa chevelure et toute sa beauté, et sa toilette des Nuits (mousseline violet-gros-deuil à pois d’or) pour conférer sur les terrasses, en tête-à-tête, avec ses vingt-quatre millions d’astres, comme un souverain met, ayant à recevoir ses pairs ou satellites, les ordres de leurs régions. Salomé tenait en disgrâce les vulgaires cabochons de première, de deuxième grandeur, etc. Jusqu’à la quinzième grandeur, les astres n’étaient pas de son monde. D’ailleurs, les seules nébuleuses matrices faisaient sa passion ; non les nébuleuses formées, aux disques déjà planétiformes, mais les amorphes, les perforées, les à tentacules. — Et celui d’Orion, ce pâté gazeux aux rayons maladifs, restait toujours le fleuron benjamin de sa clignotante couronne. Ah ! chères compagnes des prairies stellaires, Salomé n’était plus la petite Salomé ! et cette nuit allait inaugurer une ère nouvelle de relations et d’étiquette ! D’abord, exorcisée de sa virginité de tissus, elle se sentait maintenant, vis-à-vis de ces nébuleuses matrices, fécondée tout comme elles d’évolutions giratoires. Ensuite, ce fatal sacrifice au culte (heureuse, encore, de s’en tirer à compte si discret !) l’avait obligée pour faire disparaître l’initiateur, à l’acte (grave, on a beau dire) nommé homicide. Enfin, pour gagner ce silence à mort de l’Initiateur, avait dû servir, encore que coupé d’eau, à ces gens contingents, l’élixir distillé dans l’angoisse de cent nuits de la trempe de celle-ci. Allons, c’était sa vie ; elle était une spécialité, une petite spécialité. Or là, sur un coussin, parmi les débris de la lyre d’ébène, la tête de Jean (comme jadis celle d’Orphée) brillait, enduite de phosphore, lavée, fardée, frisée, faisant rictus à ces vingt-quatre millions d’astres. Aussitôt l’objet livré, Salomé, par acquit de conscience scientifique, avait essayé ces fameuses expériences d’après décollation, dont on parle tant ; elle s’y attendait, les passes électriques ne tirèrent de la face que grimaces sans conséquence. Elle avait son idée, maintenant. Mais, dire qu’elle ne baissait plus les yeux devant Orion ! Elle se raidit à fixer la mystique nébuleuse de ses pubertés, durant dix minutes. Que de nuits, que de nuits d’avenir, à qui aura le dernier mot !… Et ces orphéons, ces pétards, là-bas, dans la ville ! Enfin, Salomé se secoua en personne raisonnable, remontant son fichu ; puis dénicha sur elle l’opale trouble et sablée d’or gris d’Orion, la déposa dans la bouche de Jean, comme une hostie, baisa cette bouche miséricordieusement et hermétiquement, et scella cette bouche de son cachet corrosif (procédé instantané). Elle attendit, une minute !… rien par la nuit ne faisait signe !… avec un « allons ! » mutin et agacé, elle empoigna la géniale caboche en ses petites mains de femme… Comme elle voulait que la tête tombât en plein dans la mer sans se fracasser d’abord aux rochers des assises, elle prit quelque élan. L’épave décrivit une phosphorescente parabole suffisante. Oh ! la noble parabole ! — Mais la malheureuse petite astronome avait terriblement mal calculé son écart ! et, chavirant par-dessus le parapet, avec un cri enfin humain ! elle alla, dégringolant de roc en roc, râler, dans une pittoresque anfractuosité que lavait le flot, loin des rumeurs de la fête nationale, lacérée à nu, ses diamants sidéraux lui entrant dans les chairs, le crâne défoncé, paralysée de vertige, en somme mise à mal, agoniser une heure durant. Et elle n’eut, pas même, le viatique d’apercevoir la phosphorescente étoile flottante de la tête de Jean, sur la mer... Quant aux lointains du ciel, ils étaient loin... Ainsi connut le trépas, Salomé, du moins celle des Îles Blanches Ésotériques ; moins victime des hasards illettrés que d’avoir voulu vivre dans le factice et non à la bonne franquette, à l’instar de chacun de nous. |
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